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A la rencontre d'un ingénieur d'Alipay (Chine)

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Introduction

Il y a quelques jours, lors d’un voyage en Chine 🇨🇳 , j’ai eu la chance de rencontrer un ingénieur Data d’Alipay. J’ai pu échanger avec lui durant un long moment et essayer de comprendre le monde de la tech dans ce pays si particulier. Cet article n’a pas pour but de rentrer profondément dans l’aspect technique, mais plus de vous partager une vision du travail différente.

Qui est-ce ?

Mon interlocuteur est un ingénieur Data depuis 8 ans chez Alipay et c’est la seule entreprise pour laquelle il a travaillé en Chine, mais il y a eu d’autres expériences à l’étranger (stages). Son périmètre technique est limité, il gère un seul domaine de données, mais il est conséquent, car il est proche des 10 Petabytes. Sa problématique majeure est de (bien) faire fonctionner Hive avec cette quantité de données.

“Apache Hive est un système d’entrepôt de données distribué et tolérant aux pannes qui permet des analyses à grande échelle et facilite la lecture, l’écriture et la gestion de pétaoctets de données résidant dans un stockage distribué à l’aide de SQL."

Alipay qu’est ce que c’est ?

Alipay est une des plus grandes entreprises tech de Chine. Cette société a créé une application qui possède +600 millions d’utilisateurs en Chine et +1.2 milliard dans le monde entier. Alipay est un type d’application que l’on n’a pas en Occident, une « méga app ».

Une « méga app » est une application mobile qui offre une multitude de fonctionnalités différentes au sein d’une seule plateforme. Contrairement aux applications traditionnelles qui se concentrent sur une fonction ou un service spécifique, une méga-app combine plusieurs services ou utilitaires en un seul endroit.

Dans notre cas, un utilisateur avec Alipay peut payer en ligne ou en direct avec un commerçant, louer un scooter en libre-service, commander un taxi, réserver un hôtel, traduire du texte, envoyer des messages… Et bien d’autres choses.

C’est une application qu’on utilise au quotidien en Chine, elle est quasi essentielle comme son concurrent WeChat. Cette essentialisation rend l’application Alipay l’une des plus challengeantes d’un point de vue technique. C’est un point à retenir lors de la lecture de cet article : il faut comparer Alipay à l’un des GAFAM.

*À noter qu’aucun étranger ne travaille dans cette entreprise à sa connaissance. *

Voici quelques captures d’écrans de l’application pour que vous ayez une idée en tête, bien qu’il soit difficile de représenter l’application vu son nombre de fonctionnalités :

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Le recrutement

Le recrutement, quant à lui, est assez classique comparé à celui des GAFAM et sera similaire pour les autres grandes entreprises tech de Chine.

  1. Échange téléphonique avec un/une RH
  2. Test algorithmique
  3. Test technique basé sur l’architecture
  4. « La pression », une session de questions réponses qui l’a nommé comme ceci.
  5. Entretien final pour discuter de salaire ; c’est bien lors du dernier entretien que ce point est abordé. Il faut bien avoir le contexte en tête, la prestation n’est pas commune en Chine (donc freelance quasi impossible) et uniquement 4/5 entreprises peuvent donner des salaires aussi élevés, donc un candidat ne peut pas être déçu, car il pourra difficilement avoir plus.

Le travail

Le quotidien

Tous les informaticiens d’une grande entreprise comme Alipay font des journées de 12 h, par exemple 9 h-21 h ou 10 h-22 h ; ils ont tout de même 1 h 30 de pause pour le déjeuner, en général, ils mangent durant 30 min et garde la dernière heure pour dormir, c’est assez courant en Chine de faire la sieste, les chaises de bureau sont adaptées, dans certains grands groupes, il y a une sorte de dortoir.

Pour ce qui est des week-ends, ils ont 2 jours de repos comme chez nous. Tu peux travailler si tu le souhaites pour avancer sur tes objectifs, mais on ne te l’imposera jamais, c’est au bon vouloir.

Les vacances, il y en a environ 2 semaines + le nouvel an chinois (1 semaine), ce qui est beaucoup en Chine, mais dans la réalité, il est difficile de les prendre, car il y a beaucoup de travail à effectuer, ils ne seront pas payés ni reportés s’ils ne sont pas pris. Rien de très étonnant en Asie.

L’organisation

Chaque ingénieur de données est responsable d’un domaine métier et le seul à travailler dessus. Cela signifie qu’en cas d’absence, personne ne travaille sur le domaine si la durée est courte, mais si l’absence est plus longue, le domaine sera récupéré par le chef d’équipe dans la majorité du temps. Les technologies communes et une documentation de qualité permettent de récupérer un domaine simplement.

Le télétravail est autorisé deux jours par semaine, mais interdit le lundi et le vendredi.

Pas mal d’outils sont développés en interne et partagés librement sur Github. En cas de problématique de performance ou de fonctionnalité manquante, une équipe dédiée est là pour améliorer les outils.

Le SCRUM, l’agilité & co, on oublie, ça n’existe pas chez eux, donc pas de morning/daily, de rétro, etc…

Le salaire

Travailler dans une entreprise de ce calibre rapporte beaucoup d’argent comparé au coût de la vie. Il n’y a pas de tabou à ce sujet, donc il m’a été facile de connaître son salaire. Il s’élève à 3100 € (pas ¥) après impôts, ce qui est conséquent quand on sait que le salaire moyen est de 829 € à Chengdu (je n’ai pas réussi à me procurer le salaire médian).

Les tickets-restaurant n’existent pas en Chine, mais un budget de 20 ¥ par déjeuner (cafétéria) lui est accordé en plus de son salaire, ce qui est une somme « conséquente » pour la ville où il vit, mais s’il travaillait à Pékin ou Shanghai, les 20 yuans ne représenteraient pas grand-chose.

À cela s’ajoute ensuite une prime de 30% s’il remplit ses objectifs annuels, mais ils sont très difficiles à atteindre et demandent beaucoup de temps. Il m’a aussi indiqué que dans certaines autres entreprises du même calibre, la prime de réussite est beaucoup plus élevée, parfois +2 ans de salaire ; plus la prime est élevée, plus les objectifs sont difficiles à atteindre.

Perspective d’évolution

Deux choix sont possibles :

  1. Changer de domaine, par exemple passer de développeur back-end à ingénieur Data
  2. Monter un échelon, c’est-à-dire devenir manageur, mais il faut que quelqu’un parte ou soit lui aussi promu, ce qui est assez rare.

Mais leur temps est compté…

Un sportif de haut niveau

Ce qui m’a le plus surpris, c’est que leur carrière est semblable à une carrière de sportif de haut niveau. À 35 ans, tu ne peux plus continuer à travailler dans une entreprise de cette ampleur, car il est quasi impossible de maintenir la cadence passé cet âge, selon eux. Il n’y a pas d’exception à cette règle, de ce que j’ai pu comprendre.

La suite de sa carrière

Mais que se passe-t-il après ? Plusieurs choix s’offrent à eux :

  1. Continuer l’informatique dans une entreprise plus petite, mais leur salaire va chuter.
  2. Changer de voie et quitter l’informatique, ce qui est fréquent.
  3. Créer une entreprise, mais la chose n’est pas aisée, car comme évoquée précédemment, la prestation n’existe quasiment pas en Chine. Mon interlocuteur m’a avoué vouloir essayer de faire changer les choses à ce sujet.

Les technos

Le monde de la data n’est pas ma spécialité, donc je n’ai pas pu aller aussi loin que je l’aurai espéré dans mon échange avec lui, mais j’ai tout de même appris des choses intéressantes. Les technologies qu’il utilise au quotidien sont les mêmes qu’on peut retrouver en Europe (à l’exception d’Alibaba Cloud qui n’est pas très développé chez nous) :

  • Spark
  • Hive
  • C++
  • Python
  • Alibaba Cloud
  • SQL

Ensuite, j’ai balayé un peu plus large afin de savoir ce qu’il connaissait :

Technologie Connaissance Détails
Kubernetes
Rust
Golang Très niché
Python
Scala Totalement inconnu, ce qui m’a un peu fait rire
Flutter
Data Mesh Le nom de ce concept ne lui évoque rien mais ils ont mis en place une partie des notions
Data Lineage Concept connu depuis “longtemps” chez eux avec un produit maison
Airflow Je n’ai pas réussi à comprendre ce qu’il utilisait comme orchestrateur
Github Alibaba partage beaucoup de projets opensource sur Github
DevOps

Conclusion

Après quelques heures d’échanges, je constate que d’un point de vue technique, les technos sont très semblables pour ne pas dire les mêmes, mais c’est d’un point de vue managérial ou de leur carrière que les différences se font. Je trouve tout de même cela dommage de perdre une expertise aussi précieuse au bout d’une dizaine d’années, mais les petites entreprises peuvent ensuite profiter d'une expertise de qualité qu’elle n’aurait certainement jamais pu avoir sans cette règle, ce qui peut permettre une meilleure évolution de ces structures par la suite.